CAMBODGE - L'aide humanitaire, soutenir des actions en évitant les effets pervers du "volontourisme"
- Elise & Gaëlle
- 20 oct. 2019
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 24 oct. 2019
Comment aborder le sujet de l’aide humanitaire au Cambodge sans rappeler le génocide des Khmers Rouges qui, entre 1975 et 1979, a tué près de 2 millions de Khmers (surtout les élites) et a laissé le pays dans une situation d’urgence dramatique ?
Au fur et à mesure de notre séjour au Cambodge, nous en apprenons chaque jour plus sur l’histoire de ce pays, absente de nos manuels scolaires. Quelques petits rappels pour les intéressés…
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Après avoir vécu sous protectorat français pendant plus d’un siècle, le Cambodge obtient son indépendance en 1954 lors de la Conférence de Genève sur l’Indochine. Norodom Sihanouk, alors élu Premier Ministre, affirme sa volonté de rester neutre dans le conflit vietnamien (guerre du Vietnam 1955-1975). Les Américains font alors payer cher ce non alignement : tentative d’assassinat, armement d’une guérilla de droite et soutient au futur Premier Ministre, le général Lon Nol – alors élu en 1966. Sihanouk forme alors un « contre-gouvernement » de gauche, dont font partie de futurs Khmers Rouges, et le Cambodge sombre dans l’anarchie.
Les débuts de la Révolution Culturelle chinoise enflamment les esprits de la gauche cambodgienne – et c’est ainsi que les Khmers Rouges naissent.
Sihanouk est officiellement destitué par le Parlement en 1970 (fortement influencé par la CIA), et Washington reconnaît le gouvernement du général Lon Nol. Sihanouk appelle le peuple à la résistance, et nombreux sont ceux qui rejoignent alors les Khmers Rouges…
Parallèlement à cela la guerre du Vietnam bat son plein, et les forces américaines n’hésitent pas à bombarder le Cambodge, espérant chasser les révolutionnaires nord-vietnamiens. Alors comment résister aux Etats-Unis (via la Thailande et le Vietnam du Sud), au géant soviétique (qui soutient le Viêt-Minh) et à la Chine (qui arme les Khmers Rouges) ?
En 1975, la République de Lon Nol, rongée par la corruption et battue sur tous les fronts par les Khmers Rouges, est prête à tomber. Phnom Penh est encerclée et débute alors l’année zéro du « Kampuchéa démocratique » organisé par l’Angkar (l’organisation suprême des Khmers Rouges dirigée par Pol Pot). Il est décidé à mettre en place dans tout le pays une sorte de marxisme agraire.
Evacuation totale de la capitale en 48h, saccages des symboles de la société bourgeoise et capitaliste, ordre de rejoindre les rizières pour assurer l’autosuffisance alimentaire, militaires exécutés, fonctionnaires et intellectuels envoyés dans des « villages spéciaux », statues bouddhiques décapitées, massacre sous prétexte de non-conformité idéologique…
L’homme nouveau n’a pas de propriété individuelle, pas de famille, pas de religion, pas de monnaie (le troc est le seul système d’échange) et doit travailler pour gagner son riz. En clair : répondre au régime ou mourir.
Alors, après quatre ans le bilan est lourd : Pol Pot aura appliqué sur le peuple khmer un génocide proportionnellement plus important que celui des nazis, avec des méthodes encore plus barbares qu’Hitler, son modèle.
En 1979, lorsque l’armée vietnamienne se décide à envahir le pays et à chasser les Khmers Rouges, le voile se lève. Le monde découvre l’ampleur de la catastrophe, dont le Cambodge a encore du mal à se remettre.
Les Khmers Rouges, infatigables, continue quelques temps une guérilla pour déstabiliser le régime provisoire créé par les Vietnamiens. Quel outil ? Les mines antipersonnel ! Installées dans les campagnes et conçues pour mutiler, elles empêchent les récoltes et affament le peuple, déjà plus qu’affaibli.
Traumatisés, déracinés, mutilés, affamés, les Khmers affolent l’aide humanitaire – qui arrive en masse !
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Vous l’aurez compris l’histoire du Cambodge nous a énormément bouleversé et nous nous sommes vite aperçues que 40 ans après le drame le pays avance encore avec des béquilles. Aujourd’hui 40% du budget de l’Etat vient de l’aide extérieure et plus de 200 ONG interviennent encore dans différents domaines : santé, éducation et formation, droits de
l’homme, développement rural, crédit bancaire, environnement, urbanisme…

Nous nous interrogeons sur cette omniprésence, et comprenons qu’il y a encore beaucoup de chemin à parcourir avant de voir le pays évoluer dans un cadre plus sain – où l’Etat, la société civile et le secteur privé prennent le relais des organismes d’assistance.
D’abord car le schéma habituel, où les ONG affluent après une guerre/catastrophe naturelle et repartent rapidement après avoir passé le relais à la population locale, n’est pas possible. Au Cambodge, il ne restait plus rien : plus d’élite intellectuelle pour penser au développement national. La propagande du régime a réduit en cendre le système éducatif : « Le stylo c’est la houe, l’université c’est la rizière ». Tout repose sur les nouvelles générations et sur l’éducation.
Et quelle éducation ! Publique, elle est peu rigoureuse et très inégalitaire : absentéisme, retards et écarts de niveaux, professeurs peu qualifiés et mal payés, infrastructures insuffisantes… Privée (et c’est là que s’ouvre notre constat sur les dérives de l’aide humanitaire), elle mène parfois à des faits très alarmants.
Sur le mois passé au Cambodge, nous avons été accueillies deux semaines dans la famille de Sokkhen et Léo, un couple franco-khmer vivant dans un petit village à 30km de Phnom Penh (cf vidéo sur le volontariat au Cambodge: https://cheminsdasie.wixsite.com/cheminsdasie/videos). Ils ont deux enfants, Oudom (10 ans) et Shoshana (1 an).

Oudom a déjà fait face au chao éducatif du pays : faute de place, il a rejoint les bancs de l’école tardivement et cumulé un retard scolaire important. Pour économiser et lui permettre d’être scolarisé, Sokkhen a travaillé avec acharnement en ville (le droit du travail étant inexistant, elle enchaînait des journées de 20 heures dans des hôtels et restaurants pour touristes). Alors lorsqu’il a eu 7 ans, elle s’est tournée vers une école dirigée par une ONG – un sacré sacrifice financier – en espérant offrir à Oudom la perspective d’un meilleur avenir…
Dans le pays de nombreuses structures dites « charitables » font de belles promesses aux parents et l’envers du décor n’est pas toujours celui attendu. Attention, nous ne souhaitons pas ternir l’image des belles organisations (comme Agir pour le Cambodge, Enfants d’Asie, Enfants du Mékong, Pour un Sourire d’Enfant et beaucoup d’autres) qui mènent des actions fabuleuses mais informer sur les dérives d’écoles ou d’orphelinats devenus véritables business).
Dans le cas de Sokkhen, les frais de scolarité versés à l’ONG tombaient directement dans les portefeuilles des dirigeants et n’étaient pas réinvestis pour le bien des enfants. Une réalité dont elle s’est très vite aperçue. Aujourd’hui, Oudom a obtenu une place à l’école publique et doit cravacher pour rattraper son retard : il sait lire le khmer mais ne sait pas l’écrire, il a 10 ans.

Partant de ce constat, nous nous sommes renseignées sur ces dérives. Le plus étonnant : le nombre d’orphelinats. Les orphelins recueillis après l’époque des Khmers Rouges ont atteint l’âge adulte depuis longtemps mais la quantité de structures est inchangée. La raison ? L’orphelinat est devenu une véritable alternative au système éducatif pour les familles qui n’ont que très peu conscience des conséquences d’un placement dans de tels centres pour leurs enfants.
Certains orphelinats suscitent des dons extérieurs et cherchent à attirer la sympathie des visiteurs de passage. Ils utilisent la « corde sensible » pour récolter des fonds et enrichir les caisses de leurs structures. Les enfants deviennent « rentables », pas toujours accueillis dans des conditions acceptables : au mieux ils sont considérés comme une attraction touristique, aux pires victimes d’abus et de maltraitance.
A ce phénomène vient se rajouter celui des volontaires, désireux d’approcher une « réalité » du pays. Certains sont prêts à payer cher pour apporter leur aide ! S’installe alors le cercle vicieux du « volontourisme »… D’abord car il n’y a pas de précaution prises pour protéger les enfants. Par exemple, certaines structures ne demandent même pas de passeport ou de casier judiciaire avant d’accepter un volontaire. De plus rester quelques jours ou quelques semaines auprès des enfants est rarement assez suffisant pour mener un projet à bien et peut laisser un sentiment d’abandon répétitif chez les pensionnaires.
Une phrase croisée au détour d’un article nous a inspirées : « Autoriserions-nous des volontaires non qualifiés ne parlant pas notre langue à venir enseigner à nos enfants, même issus de classes défavorisées, en France ? » Tout est dit.
En plus du problème de l’éducation, de nombreuses autres dérives sont à blâmer : business et entreprises camouflées, prosélytisme (certaines institutions enseignent à des enfants la culture religieuse chrétienne dans un pays où le bouddhisme est devenu fragile), ingérence, assistanat et substitution à l’effort national.
Bien que plusieurs organisations soient condamnables, selon nous, c’est aussi et avant tout aux touristes de se renseigner avant de s’investir dans un projet et de choisir des organismes reconnus pour leur honnêteté. Notamment, dans un secteur si sensible qu’est l’éducation, d’éviter les agences internationales de « volontourisme » ou des structures locales qui ont trouvé un marché pour un business juteux.
Pour finir sur une note plus positive, il est évidemment possible de s’investir tout en voyageant au Cambodge. C’est ce que nous avons tenté de faire en rentrant au contact des locaux, en nous renseignant sur les bonnes organisations et en consommant responsable. Faire en sorte que le tourisme ait des retombées directes sur le revenu des populations locales et des populations défavorisées c’est déjà choisir. Il existe notamment de nombreux restaurants de formation qui aident les jeunes et leur permettent d’obtenir un salaire fixe, des boutiques qui soutiennent l’artisanat des associations et des coopératives, des institutions honnêtes et fiables que l’on peut soutenir sans impacter négativement les pensionnaires.



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